La Santé au Cameroun: Entre Initiatives Communautaires et Défis Structurels

Une approche par les communautés

Dans les collines verdoyantes de la région de l’Ouest camerounais, Maman Justine, 63 ans, se lève chaque matin à l’aube. Avant même que le village ne s’éveille complètement, elle a déjà préparé ses décoctions à base de plantes locales. Formée par un programme hybride alliant médecine traditionnelle et connaissances modernes, elle représente une nouvelle génération de soignants communautaires qui redéfinissent silencieusement le paysage sanitaire du Cameroun.

 

“Nous ne remplaçons pas les médecins,” insiste-t-elle, “mais dans un village à trois heures de marche du centre de santé le plus proche, nous sommes souvent la première et parfois la seule ligne de défense.”

 

Cette réalité illustre une dimension rarement explorée du système de santé camerounais: l’émergence d’un réseau parallèle de soins, né non pas d’une volonté politique organisée, mais d’une nécessité communautaire face aux lacunes structurelles.

Au-delà des statistiques: une mosaïque sanitaire

Si les rapports internationaux dépeignent souvent un tableau uniforme des défis sanitaires du Cameroun, la réalité sur le terrain révèle une mosaïque complexe. Le pays présente en fait dix systèmes de santé distincts correspondant à ses dix régions, chacun avec ses forces et vulnérabilités propres.

 

La région du Littoral, avec Douala comme épicentre économique, dispose d’infrastructures relativement développées mais souffre d’une surcharge chronique et d’une médecine à deux vitesses. À l’opposé, l’Extrême-Nord fait face à des défis supplémentaires liés aux crises sécuritaires et aux déplacements de population.

 

“Le Cameroun sanitaire est comme notre drapeau national – tricolore, étoilé, et impossible à comprendre si on ne le regarde que d’un seul angle,” explique Dr. Nkongho, épidémiologiste à l’Université de Yaoundé I.

L'innovation frugale: faire plus avec moins

Face aux contraintes budgétaires persistantes, le secteur de la santé camerounais a développé une capacité remarquable d’innovation frugale. À Bamenda, un technicien hospitalier a modifié des incubateurs pour nouveau-nés afin qu’ils fonctionnent avec des pièces automobiles localement disponibles, prolongeant leur durée de vie de plusieurs années.

 

Dans la région de l’Est, des applications mobiles développées par des startups camerounaises permettent aux patients de zones rurales de consulter à distance et de recevoir des diagnostics préliminaires, compensant partiellement la pénurie de médecins spécialistes.

 

Ces innovations demeurent toutefois des solutions palliatives à des problèmes structurels plus profonds: le Cameroun compte environ un médecin pour 10.000 habitants, loin des standards recommandés par l’OMS.

Le fardeau invisible: santé mentale et maladies non transmissibles

Alors que les efforts se concentrent traditionnellement sur les maladies infectieuses, le Cameroun fait face à une épidémie silencieuse de troubles mentaux et de maladies non transmissibles. L’urbanisation rapide, les changements alimentaires et le stress chronique transforment le profil épidémiologique du pays.

 

“Nous traitons désormais autant d’hypertension que de paludisme,” confie une infirmière d’un centre de santé périurbain de Douala. “Mais notre formation et nos ressources restent orientées vers les maladies infectieuses.”

 

Cette transition épidémiologique s’accompagne d’un tabou persistant autour des troubles mentaux, limitant considérablement leur prise en charge. Le pays compte moins d’une centaine de psychiatres pour une population de plus de 27 millions d’habitants.

L'économie informelle de la santé

Dans les marchés urbains comme ruraux du Cameroun, les médicaments circulent dans une économie parallèle complexe. Si ce circuit présente des risques évidents liés aux contrefaçons, il constitue paradoxalement une source d’approvisionnement vital pour de nombreuses communautés.

“La réalité est nuancée,” explique un chercheur en santé publique. “Ces réseaux informels comblent des vides logistiques majeurs et parviennent parfois à atteindre des zones que la chaîne d’approvisionnement officielle néglige depuis des décennies.”

Cette économie informelle reflète également un savoir-faire entrepreneurial local qui pourrait être réorienté dans un cadre réglementaire adapté plutôt que simplement réprimé.

Vers une approche camerounaise de la santé

Le système de santé camerounais, avec ses contradictions et innovations, illustre la nécessité d’une approche contextualisée plutôt que l’application de modèles importés. Les solutions durables émergeront probablement d’une synthèse entre les ressources communautaires existantes, l’expertise médicale formelle et les innovations technologiques adaptées.

 

Entre défis structurels et dynamisme communautaire, le Cameroun réinvente progressivement sa propre définition de la santé publique – une définition qui pourrait offrir des leçons précieuses à d’autres pays confrontés à des contraintes similaires.

 

 

 

 

 

Sources officielles et institutionnelles

  • Organisation Mondiale de la Santé (OMS). “Profil sanitaire du Cameroun” (2022-2023)
  • Ministère de la Santé Publique du Cameroun. “Plan National de Développement Sanitaire” (dernière édition)
  • Institut National de la Statistique du Cameroun. “Enquête Démographique et de Santé” (EDS)
  • UNICEF Cameroun. “État des lieux de la santé maternelle et infantile”

Études académiques

  • Revue “African Journal of Health Sciences” – Articles spécifiques sur le Cameroun
  • Publications de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales de l’Université de Yaoundé I
  • Études du Centre Pasteur du Cameroun sur l’épidémiologie locale

Rapports d’organisations non gouvernementales

  • Médecins Sans Frontières. “Rapport annuel d’activités au Cameroun”
  • Plan International. “État de la santé communautaire au Cameroun”
  • Fondation Bill & Melinda Gates. “Initiatives de santé en Afrique Centrale”

Études économiques et sociales

  • Banque Mondiale. “Analyse du financement de la santé au Cameroun”
  • Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). “Impact des déterminants sociaux sur la santé au Cameroun